Nous sommes tellement fier.ère.s d’avoir lancé la Caravane de Films de Femmes 40Braids, hier à Paris. Voici pourquoi.
Premièrement, le point de départ de notre périple prouve qu’aucune route n’est infranchissable, même lorsque les obstacles semblent insurmontables. En 2013, nous avons cocrée le Festival International de Films de Femmes de Hérat en Afghanistan, alors qu’il était déjà parfaitement clair, depuis un certain temps, que la chute du régime Taliban n’était qu’une illusion. Mais nous avons décidé de garder un esprit combattant en donnant la parole à toutes ces afghanes courageuses – des artistes, des défenseures des droits humains – qui avaient su sortir de l’ombre et utiliser la culture comme un vecteur pour tisser le récit de leurs propres histoires et réalités. Et élargir leur horizon en amenant à Hérat (une ville privée de salles de cinéma) des films du monde entier, traitant de sujets souvent familiers. Le résultat obtenu fut encourageant. Et fort heureusement, les différentes éditions du festival, qui en est à sa sixième année, se sont déroulées sans incident sécuritaire majeur.
Deuxièmement, nous sommes fier.ère.s de voir que les Afghanes ont inspiré des générations de militantes et militants pour les droits des femmes à travers le monde, ces dernier.ère.s étant tout d’abord touché.es par le sort des femmes sous les Talibans, avant de réaliser que l’expérience humaine est universelle, et qu’il s’agit d’une lutte partagée contre l’extrémisme, le militarisme, la violence, les inégalités et la destruction de l’environnement.
Faisant écho à la Route de la Soie, nous voulons à présent nourrir un dialogue entre les cultures et en leur sein, et faire du tissage un symbole de la manière dont les femmes peuvent tenter, comme elles l’ont toujours fait, de changer le cours des récits, les normes et les comportements à travers les frontières et au-delà.
Parallèlement, nous sommes ébranlé.e.s, pour ne pas dire en colère, de réaliser que les pourparlers de paix en Afghanistan (que nous avons tendance à qualifier d’échec) continuent à négliger la place centrale et fondamentale des violations des droits humains à l’encontre des filles et des femmes. Notre but n’est pas ici de rappeler les crimes atroces qui se déroulent encore en Afghanistan, souvenirs glaçants de pratiques répandues sous les Talibans (1996-2001). Nous préférons demander : pourquoi n’écoutons-nous toujours pas toutes ces Afghanes qui s’expriment à travers le cinéma, la poésie traditionnelle (landays), la musique, l’art contemporain de la performance, le militantisme, ou dans leur vie quotidienne en tant que leaders, parlementaires, femmes au foyer, étudiantes, médecins, sportives ?
Près que la moitié des 398 Districts de l’Afghanistan seraient aujourd’hui sous le contrôle (partiel ou total) des Talibans ou d’autres groupes extrémistes ayant une approche similaire des droits des femmes et des filles. Alors que nous célébrons les 25 ans de la Déclaration de Beijing (dont l’objectif proclamé est de faire progresser les objectifs d’égalité, de développement et de paix pour toutes les femmes dans le monde entier), adoptée tout juste douze mois avant la prise de pouvoir des Talibans, serons-nous en mesure de dire “plus jamais” ? Et de soutenir les femmes d’Afghanistan, non pas en tant que simples victimes mais pour leurs talents et contributions à la construction d’une société moins guerrière, plus durable et inclusive ?
A travers 40Braids, nous voyons une occasion de créer de nouveaux couloirs de liberté, de créativité et de dialogue, à travers le regard des femmes. A l’occasion du lancement de la Caravane 40Braids hier à Paris (un événement parallèle prévu à Herat a été annulé à cause de l’état d’urgence résultant de la crise du coronavirus), nous avons honoré et célébré les femmes dans leur diversité. Plusieurs militantes afghanes ont bien sûr rejoint la Caravane dans la capitale française. Toutefois, nous avons aussi entendu, regardé et appris de la part de défenseur.e.s des droits des femmes, de militant.e.s pour la paix, d’universitaires et de cinéastes venu.e.s d’Algérie, de Colombie, de France, d’Iran, d’Irlande, du Kashmir, du Mexique, de la Palestine, de Tunisie et des États-Unis. En d’autres termes, tou.te.s ensemble nous sommes devenu.e.s les 40Braids.
Paris, le 8 mars 2020
Signataires : Guissou Jahangiri, Directrice d’OPEN ASIA et fondatrice de 40Braids ; Afsaneh Salari et Patrick Navaï, coorganisateurs ; David Knaute, Président d’OPEN ASIA. Site internet : https://www.40braids.org/ ; Email : openasiafrance@gmail.com